vendredi 22 mars 2024

Karma 3

A force d'insister pour tout nous expliquer, il va finir par lasser. Et sans doute nous obliger à détourner notre regard vers d'autres centres d'intérêt - d'ailleurs, il n'y a pas que le rugby dans la vie. Ceci dit, relativisons : Fabien Galthié ne s'adresse pas à nous quand, à grands coups de datas et de sémantique d'entreprise, il force une défaite à ressembler à un succès. Son objectif consiste plutôt à gagner l'adhésion du grand public et des décideurs, la reconnaissance du supporteur lambda et l'indulgence des patrons du CAC 40, chez lesquels il sait pouvoir trouver la pige.
Durant la période antique, le bouc-émissaire était sacrifié pour sauver le peuple fautif. Il entrait par la porte située le plus à l'est, traversait le lieu de culte et sortait par la porte la plus occidentale. Ainsi était-il purifié, prêt pour un nouvel emploi. Je ne sais pas où est situé la porte du vestiaire des arbitres au Stade de France mais, clairement, notre entraîneur national continue de charger M. O'Keefe de tous les mots, ainsi qu'en témoignent les derniers interviews. Façon insistante de lui montrer la porte de la sortie.
Que le siffleur néo-zélandais n'ait pas livré sa meilleure prestation ce jour d'octobre 2023 à Saint-Denis, nous en sommes tous conscients, et il n'est pas besoin de convoquer une armada d'analystes vidéo pour étayer ce sentiment : un peu d'observation suffit. Mais il ne fut pas le seul ce jour-là à officier juste au-dessus du niveau requis : le staff tricolore et quelques joueurs-cadres du XV de France - on ne citera pas leurs noms par charité - peuvent être aussi soupçonnés d'impéritie.
Ainsi donc, si l'on écoute Fabien Galthié, la date de péremption du dernier France - Afrique du Sud n'est pas dépassée puisqu'il nous sert encore ses justifications. Mais pour combien de temps encore ? Franchement, tout ce cirque médiatique commence à devenir gênant. Surtout pour lui. "Il gère sa com", m'envoie par sms un ancien international. "Il se fout un peu de notre gueule", ajoute un autre. Si quelqu'un s'est incliné, c'est d'abord Fabien Galthié. Le cerveau mangé par Rassie Eramus quatre jours avant le coup d'envoi, Eramus qui aligna sa deuxième charnière (Reinach-Libbock) pour laisser les premiums (De Klerk-Pollard) finir le travail. Aujourd'hui, malgré un tombereau de démonstrations rhétoriques, le XV de France n'a toujours pas gagné son quart, mais c'est l'ego qui perd Galthié.
Avant que les Tricolores - avec ou sans Dupont ? - ne retrouvent le Japon et la Nouvelle-Zélande à l'automne, les jeunes pousses françaises auront été toucher du doigt cet été l'âpreté du haut niveau international en Argentine. Je serais curieux de savoir ce que les Pumas pensent du peu de cas que nous faisons d'eux en leur jetant en pâture dans la pampa nos Espoirs, sorte de France B déguisée en tremplin.
Retour, donc, au Top 14. Ou plutôt au top 6, cette table ovale autour de laquelle douze clubs rêvent de s'assoir, jeu de chaises musicales qui ne manquera pas de fausses notes. En effet, la moindre défaite prenant déjà une ampleur démesurée, les polémiques vont éclore, assurant aux arbitres, ici aussi, le rôle pour lequel, à leur corps défendant, ils semblent éternellement condamnés : celui de bouc-émissaire. Ne dit-on pas de l'exemple vient d'en haut. Malheureusement, l'effet de ruissellement semble pervers.
Championnat de France, Coupe des champions et Tournoi des Six Nations femmes parviendront peut-être à nous aérer l'esprit. C'est à souhaiter. Pour ma part, vous l'avez senti, mon intérêt pour le jeu, et uniquement le jeu, ne cesse de me nourrir. A ce titre, j'ai aimé l'Italie, libérée par Gonzalo Quesada. Elle méritait mieux qu'une cinquième place dans ce Tournoi ouvert à tous les vents, le plus mauvais détournant un ballon frappé par l'infortuné Paolo Garbisi sur l'un des poteaux lillois. S'il n'était pas tombé au pire moment, ce ballon aurait changé la face du score et plongé le XV de France dans un abîme de honte et de détresse. Au lieu de quoi, une décision arbitrale aidant à Murrayfield et une autre crucifiant l'Angleterre au final ont offert au XV de France un bilan tout juste passable, transformé en deuxième place qui cache la forêt.
Comme aimait à le répéter le sage Henri Bru, l'arbitre est toujours convoqué en cas de défaite mais jamais dans la victoire. Sous l'angle ainsi fourni, nous avons encore un paquet de chroniques à rédiger avant de savoir si, à Sydney en 2027, un coup de sifflet nous sera enfin favorable. Espérons que d'ici là, le rugby que nous aimons et qui nous fait nous retrouver entre les lignes de ce blog nous aura proposé autre chose que de mauvaises justifications et des coupes d'amertume.

lundi 11 mars 2024

L'arme fatale

On ne le répètera jamais assez : le jeu de balle ovale porte un nom - Football-Rugby - qui raconte sa pratique mieux qu'une thèse ne le ferait, et a fortiori cette chronique. Il y a presque un siècle de cela, le drop-goal était le geste le mieux payé du rugby : jusqu'en 1948, il rapportait quatre points. L'atypique demi de mêlée toulousain Yves Bergougnan frappa le dernier, avant que le rapport qualité-prix du coup de pied tombé soit ramené à trois. C'était d'ailleurs face à l'Angleterre.
L'Histoire nous offre parfois de belles coïncidences. Cette année 1948, dans le Tournoi renaissant, le XV de France battit pour la première fois les Gallois chez eux. Dimanche dernier, c'est un record de points inscrits que les Bleus du capitaine Alldritt ont déversé sur Cardiff, quarante-cinq, au terme d'une rencontre contrastée : du rugby à 7 en première période à force de laisser la défense ouverte, avant d'offrir une performance plus compacte.
La veille, la Rose et son Marcus avaient marqué l'Irlande au fer de la plus grande frustration. D'un drop-goal, donc, l'ouvreur remplaçant anglais crucifia les espoirs de Grand Chelem de ses adversaires à la façon d'un Jonny Wilkinson décrochant le titre mondial en 2003 devant l'Australie médusée. Un drop, c'est cruel et ça pique, c'est un coup d'estoc. En l'occurrence, un point final placé par ce Mr. Smith qui ne s'imaginait pas connaître pareille fête.
La plaie n'est toujours pas refermée. En creux, j'ai immédiatement pensé à ce qui avait manqué au XV de France pour vaincre les Springboks en octobre dernier. Un drop-goal à la dernière minute, mais c'est bien sûr... Au lieu de râler contre l'arbitre. Un drop de Thomas Ramos, d'Antoine Dupont, de qui vous voulez, pour que la France affronte l'Angleterre en demi-finale de ce Mondial. Sous la pluie. A voir la joie immense des Anglais, j'imaginais celle que les Tricolores nous auraient fait partager...
Notre bon vieux Tournoi, et c'est une de ses forces, va nous offrir cette affiche pour clore la présente édition. Difficile d'imaginer meilleur scenario. L'Irlande, l'Angleterre, voire l'Ecosse et la France mais ce sera plus difficile, peuvent décrocher au finish la première place. Le drop-goal de Marcus Smith dans un Twickenham en transe et le bonus offensif français à Cardiff ont changé la donne. Un Crunch ne manque jamais de mordant, et ce France-Angleterre promet d'être, en plus, savoureux. A plus d'un titre.
Libérée et parfois en maîtrise, équilibrée dans ses lignes et tranchantes à l'occasion, l'équipe de France rajeunie par obligation au moment où le doute pouvait s'immiscer dans les esprits n'a pas failli devant l'obstacle qui se présentait à Cardiff et dont personne, avant le coup d'envoi, ne pouvait imaginer qu'il serait sauté avec autant de facilité. On a vu, à l'occasion, quelques "anciens" reboostés au contact de la nouvelle génération. Trajectoire rectifiée, donc.
Mais une victoire, dans le Tournoi, n'a de valeur qu'à l'aune du prochain match. Par principe. Tout succès demande confirmation. Fort en symboles, ce France-Angleterre place donc les hommes de Fabien Galthié sur une étroite corniche le long de laquelle il leur faudra avancer sans verser. Aujourd'hui, ils sont plus grisés que stressés, plus impatients qu'inquiets. L'emporter, samedi soir, et s'ouvrirait une nouvelle ère. Chuter après le petit sommet de Cardiff impliquerait de remonter un bloc de contrariétés. Une telle perspective ne rend personne heureux.